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Née à Barcelone, elle commence ses études de chant avec Jordi Albareda et, très jeune, fait déjà partie de l’ensemble de musique ancienne le plus prestigieux de la Catalogne, Ars Musicæ, au sein duquel elle chante les œuvres des grands polyphonistes espagnols du XVIe siècle et les recueils de chansons de la cour de Charles Quint qui restent le noyau de sa formation musicale. Avec son mariage avec Jordi Savall en 1968 commence une association tant artistique que personnelle qui laissera son empreinte sur l’évolution de tout le mouvement du renouveau de la musique ancienne. À la Schola Cantorum Basiliensis et à la Musik Akademie de Bâle, où elle étudie avec Kurt Widmer, Thomas Binkley et plus tard avec Eva Krasznai, Montserrat Figueras a l’occasion de développer sa formation vocale générale tout en s’initiant aux dernières recherches sur des techniques vocales originales. Le climat propre à ces institutions est de la plus grande importance pour le développement personnel de Montserrat Figueras en tant que chanteuse. La plupart des traités originaux sur la pratique d’exécution instrumentale des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles soulignent à maintes reprises que, pour jouer d’un instrument quel qu’il soit, l’objectif principal est d’imiter le plus fidèlement possible la voix humaine, non seulement du point de vue de l’expression mais aussi des effets techniques. Or, le seul moyen d’arriver à une alternative viable aux modèles vocaux établis de style romantique était de faire exactement l’opposé et de rechercher des approches similaires à celle que les musiciens sur instruments anciens avaient réussi à élaborer jusqu’alors. Si la Camerata florentine invente le nouveau « stile recitativo » comme moyen de « imitare col canto chi parla », l’objectif est maintenant jusqu’à un certain point, celui de « imitare col canto chi suona ». C’est probablement l’un des aspects qui m’impressionna le plus la première fois que j’assistai à un récital de Montserrat Figueras et de Jordi Savall il y a plus de trente cinq ans, dans la chapelle baroque de l’Université de Coimbra. Ils interprétaient un tono humano espagnol du XVIIe siècle, et la même phrase musicale circulait entre la voix et la viole comme si toutes les deux n’étaient que des éléments complémentaires d’un seul instrument polyphonique: nous avions tous l’impression que la viole de Jordi chantait littéralement tandis que Montserrat produisait exactement le même effet de projeter le son et d’articuler les phrases comme si elle possédait une façon miraculeuse de transformer ses cordes vocales en cordes frottées. De savantes recherches alliées à une étude de l’exécution instrumentale furent certainement des références essentielles dans la formation de son approche personnelle à la musique vocale ancienne, mais il se peut qu’une autre source d’inspiration soit encore plus marquante pour son style vocal distinctif: sa parfaite connaissance du style de chant traditionnel de sa Catalogne natale où vivent encore tant d’aspects de techniques vocales séculaires, souvent associés à des mélodies et des danses qui remontent à la fin du Moyen Age. Et cette connaissance ne se limite nullement aux traditions propres à son pays mais s’accompagne d’un intérêt constant pour l’ensemble du patrimoine de la musique vocale des diverses cultures méditerranéennes, du Maghreb aux Balkans et du Proche Orient au Midi français. Aucune de ces influences variées ne provient d’un projet purement intellectuel ni d’une tentative simplement académique Montserrat Figueras les absorbe en premier lieu grâce à son intuition innée, les incorporant tout naturellement en sa musicalité instinctive, pour réaliser ainsi un mélange parfait qui unifie toutes ses interprétations en un style personnel que l’on ne peut pas ne pas reconnaître, qu’elle chante une mélodie séfarade, un madrigal de Monteverdi ou une canzonetta de Sor. Et ceci est sûrement la raison pour laquelle elle parvient à suivre la plus sévère discipline de travail en préparant chaque morceau sans jamais perdre l’approche spontanée qui caractérise chacune de ses prestations. En fait, bien que je sois convaincu que tous les aspects que j’ai signalés sont importants pour la compréhension de la formation du talent artistique de Montserrat, je devrais souligner qu’aucun parmi eux ne saurait expliquer ni même décrire l’essence de son impact sur l’auditeur, surtout en concert. Elle est, bien sûr, d’une beauté saisissante, et sa seule présence sur scène l’entoure d’une aura qui est à la fois d’une sensualité intense et d’une grâce aristocratique. Deux qualités qui deviennent encore plus évidentes dans son chant où elle s’engage corps et âme, esprit et émotion. Son corps entier semble vibrer des rythmes dansants d’une mélodie. Son visage devient le miroir de la tension affective de chaque texte, exprimant joie et chagrin, désir et dévotion, passion et mélancolie, exaltation et sérénité. Et l’on peut dire la même chose à propos de sa voix. Avec son mélange unique de chaleur et de transparence, elle peut soutenir toute la gamme des émotions humaines tout en exprimant chaque nuance du sens d’un poème. De plus, quoi qu’elle ne paraisse pas particulièrement puissante, elle se projette si bien que même dans une grande cathédrale, elle porte merveilleusement bien de l’autel principal jusqu’au dernier rang de la nef. Voilà une artiste qui s’est aujourd’hui produite partout dans le monde, le plus souvent avec Hespèrion XX, l’ensemble extraordinaire qu’elle créa en 1974 avec son mari, Jordi Savall, le joueur d’instruments à vent Lorenzo Alpert et le luthiste Hopkinson Smith; ou, depuis quelques années, avec l’ensemble vocal La Capella Reial de Catalunya. Ses innombrables enregistrements ont été récompensés par les prix les plus prestigieux dans le domaine de la musique classique. Imitée par beaucoup, elle reste la référence à l’aune de laquelle ses consœurs sont jugées. Ce n’est donc un Hommage indispensable que Montserrat Figueras soit l’objet d’une compilation personnelle comme le présent double album qui embrasse les différents domaines du répertoire dans lequel elle avait excellé, des mélodies séfarades et des prophéties obsédantes de la Sybille aux recueils de chansons polyphoniques de la renaissance ibérique et aux mélodies charmantes du répertoire de la vihuela espagnole, du climat pieux, intense des chefs-d’œuvre de Guerrero ou de Victoria aux exquises monodies accompagnées, signées Monteverdi ou Merula, du charme et de la vivacité rythmique du tono humano des débuts du baroque espagnol jusqu’à son équivalent plus tardif du temps de Goya et des guerres napoléoniennes, à l’aube du romantisme. Pour ceux qui aiment déjà Montserrat Figueras, cet album sera comme un échantillon, organisé soigneusement et avec amour, de sa carrière et de sa musique. Pour ceux qui vont découvrir ici, pour la première fois, la sagesse et l’émotion inhérentes à sa voix et à son talent, je suis certain que ce sera un moment de découverte inoubliable de celle qui fût une des artistes les plus authentiques et passionnantes dans le monde actuel de la musique ancienne. RUI VIEIRA NERY
Traduction : John Tyler Tuttle |
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ENGLISH VERSION She was born in Barcelona, began her voice studies with Jordi Albareda, and at a very early age was already singing with the most prestigious Catalan Early Music ensemble, Ars Musicæ, performing the sacred works of the great Spanish polyphonists of the 16 century and of the songbooks of the Court of Charles V, that were to remain at the core of her musical background. In 1968 she married Jordi Savall, and this was the start of an artistic –as well as personal– association that has since then marked the evolution of the whole Early Music revival movement. As a student of the Schola Cantorum Basiliensis and of the local Musik Akademie, where she worked under Kurt Widmer, Thomas Binkley and later with Eva Krasznai, Montserrat Figueras had the opportunity of developing her general vocal training and of becoming acquainted with the latest research on original vocal techniques. The atmosphere surrounding these institutions was of the utmost importance…” was of the utmost importance to the personal growth of Montserrat as a singer. Most original treatises on the instrumental performance practice of the sixteenth, seventeenth and eighteenth centuries repeatedly stressed that the main goal of playing any musical instrument was to imitate as faithfully as possible the human voice, not only from the point of view of expression, but also in terms of the technical effects. Now, the only way to come up with a viable alternative to the established vocal patterns of the Romantic style of performance was to do exactly the opposite and search for similar approaches in the vocal realm to the one that performers of original instruments had by then already been able to develop. If the Florentine Camerata devised the new “stile recitativo” as a way of “imitare col canto chi parla”, the goal was now, to some extent, that of “imitare col canto chi suona”. This was probably one of the aspects that impressed me the most the very first time I attended a recital by Montserrat Figueras and Jordi Savall, some thirty-five years ago, at the Baroque chapel of Coimbra University. They were performing a Spanish “tono humano” from the seventeenth century, and the same musical phrase was circulating between the voice and the viol as if they both were but complementary elements of a single polyphonic instrument: we were all under the impression that Jordi’s viol was literally singing, while Montserrat produced exactly the same effects of projecting the sound and articulating the phrases as if she possessed some miraculous way of transforming her vocal chords into bowed strings. Scholarly research and the study of instrumental performance were certainly essential references in the shaping of her personal approach to vocal Early Music, but perhaps even more important was yet another source of inspiration for her distinctive vocal style: her deep familiarity with the style of traditional singing in the folklore of her native Catalonia, in which so many aspects of centuries-old vocal techniques remained in use, often associated with melodies and dances that can also be traced back as far as the Late Middle Ages. And this familiarity was by no means restricted to her country’s own tradition, but was accompanied by a constant interest in the global heritage of vocal music of the various Mediterranean cultures, from the Maghreb to the Balkans, and from the Near East to the French Midi. None of these different influences came from a purely intellectual design or through a merely academic endeavour. Montserrat Figueras absorbed them, first of all, through her natural perceptiveness and incorporated them quite naturally into her instinctive musicianship, thus achieving a perfect blend that unifies all of her performances into an unmistakably personal style, whether she is singing a Sephardic song, a Monteverdi madrigal or an Early-Romantic “canzonetta” by Sor. And this is certainly the reason why she can follow the strictest working discipline in the preparation of every single piece without ever losing the spontaneous approach which characterizes each of her performances. In fact, although I am convinced that all the aspects that I have pointed out are definitely relevant for the understanding of the background of Montserrat’s artistry, I should stress that none of them can begin to explain or even simply describe the essence of her impact upon the listener, especially in a live concert. She is, of course, strikingly beautiful, and her mere presence on stage surrounds her with an aura of both intense sensuality and aristocratic grace. And these two qualities become even more evident in her singing, to which she commits body and soul, mind and emotion. Her whole body seems to vibrate with the dance rhythms of a song. Her face becomes the mirror of the emotional tension of each text, conveying joy and sorrow, desire and devotion, passion and melancholy, excitement and serenity. The same can be said of her voice. With its unique blend of warmth and transparency, it can support the whole gamut of human emotion, while expressing each nuance of the meaning of the poem. Furthermore, although it does not seem to be particularly powerful, it projects so well that even in a large cathedral it carries wonderfully from the main altar to the last benches at the end of the nave. She has now performed all over the world, usually with Hespèrion XX, the extraordinary ensemble she has founded in 1974, together with her husband, Jordi Savall, and with wind instrument player Lorenzo Alpert and lutenist Hopkinson Smith, or, in the last few years, with the vocal ensemble La Capella Reial de Catalunya. Her countless records have been awarded the most prestigious prizes in the field of Classical Music. Imitated by many, she remains the standard by which her colleagues arc judged. It is therefore only natural that she should be the subject of a personal compilation such as the present double album, covering the different areas of the repertoire in which she excels, from the Sephardic songs and the haunting prophecies of the Sibil·la to the Iberian polyphonic songbooks of the Renaissance and the charming melodies of the Spanish vihuela repertoire, from the intense devotional atmosphere of the masterworks of Guerrero and Victoria to the exquisite accompanied monodies of Monteverdi and Merula, from the charm and the rhythmic energy of the “tono humano” of the Spanish Early Baroque to its later equivalent of the time of Goya and the Napoleonic Wars, at the dawn of Romanticism. For those who already love Montserrat Figueras, this album serves as a carefully and lovingly organized sample of her career and of her music. For those who will discover here, for the first time, the wisdom and the emotion that are inherent in her voice and in her artistry, I am certain that this will be an unforgettable moment of discovery of the most genuine and fascinating talent in the world of Early Music today. RUI VIEIRA NERY
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