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Les Anglais vinrent tardivement à l’Opéra. À la suite de la restauration de la monarchie en 1660, on aurait pu s’attendre à un engouement général pour ce genre nouveau. Car l’étranger revenait à la mode ; le roi Charles II lui-même donna la réplique aux Vingt-Quatre Violons du Roi de Louis XIV en créant sa propre formation, tandis qu’en France, l’opéra italien prit un nouvel essor dans sa terre adoptive. Mais en Angleterre, les premières tentatives de transplantation de l’opéra, en italien ou en anglais, échouèrent sans qu’i1 y ait pour cela de raisons évidentes. En revanche, la pratique locale d’insérer des intermèdes musicaux dans des pièces de théâtre ou dans des masques, s’imposait plus fortement. Ces pièces pouvaient servir soit d’introduction (Ouvertures), soit de commentaire (airs, chœurs et autres pièces vocales), ou encore d’accompagnement aux chorégraphies ; mais le plus souvent, leur rapport avec l’action scénique était minime. A mi-chemin entre cette sorte d’intermède et l’opéra proprement dit, il y avait le « semi-opéra », type indigène né plus vraisemblablement d’une forte méfiance envers l‘opéra que de considérations financières : la dépense relative d’une représentation scénique de The Fairy Queen étant sans doute comparable à celle d’un opéra continental. Le nombre de représentations scéniques auxquelles Henry Purcell participa se situe autour de la cinquantaine ; souvent s’agissait-il de collaborations avec d’autres musiciens. Seul Didon et Énée peut être compté parmi les véritables opéras (dans le sens d’une action scénique mise entièrement en musique), démontrant à tout le moins que le compositeur n’éprouvait aucune réserve de principe envers l’opéra. Hors Didon et Énée, la plus belle part de cette production théâtrale revient aux cinq semi-opéras composés entre 1690 et 1695, l’année de la mort de Purcell. Seul le scenario de King Arthur, sur un texte original de John Dryden, fut conçu dans le but exprès d’y introduire la musique de Purcell ; les autres sont des adaptations de pièces pré-existantes. Par ailleurs, les semi-opéras se distinguent des autres musiques de scène par l’intégration plus serrée de la musique dans la trame narrative (surtout dans The Fairy Queen), et par l’importance accordée à la chorégraphie. Le présent enregistrement comprend la plupart de la musique instrumentale associée au tout premier semi-opéra, The Prophetess (1690), connu également sous le titre de Dioclesian, et au plus éblouissant d’entre eux, The Fairy Queen (1692), tiré de A Midsummer-Nights Dream de Shakespeare. Dans les deux œuvres, chaque acte scénique est précédé d’une introduction instrumentale plus ou moins importante (parfois appelée « act tune »), tandis que l’œuvre entière débute par une série de mouvements s’apparentant à la Suite, et comprenant une Ouverture à la française. La musique préliminaire pour The Fairy Queen est particulièrement élaborée. Les actes sont constitués de pièces vocales et de pièces instrumentales, pour la plupart de moindre envergure, les unes servant à camper scènes et personnages, les autres servant de prétexte à la danse, sur le modèle des intermèdes tant prisés au théâtre français de l’époque. A vrai dire, et malgré l’exhortation bien connue du compositeur à adopter le goût italien de préférence à « la légèreté et la badinerie de nos voisins », la musique que nous entendons ici serait inconcevable (même à cette époque tardive de la production de Purcell) sans l’exemple de Lully. Les semi-opéras se distinguent aussi des simples intermèdes dramatiques par leur distribution instrumentale plus fournie. Là où ceux-là se contentent des seules cordes, ceux-ci rappellent plus volontiers, par la richesse de l’orchestration, les odes de circonstance même si, contrairement à bon nombre des odes (au encore aux opéras de Lully), les semi-opéras n’étaient pas spécialement destinés à la cour. Cependant, l’imagination dramaturgique de Purcell, son sens inné du faste et des textures sonores, se trouvent décuplés par l’ampleur accrue des ressources mises à sa disposition: trompettes, hautbois, flûtes à bec, timbales. Le début du quatrième acte de The Fairy Queen, qui s’ouvre sur un étonnant solo de timbales, en fournit un bel exemple ; un autre, plus subtil, concerne la présence dans The Prophetess d’un hautbois ténor, timbre remarquable que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans la musique de scène du compositeur. Son art contrapuntique, incomparable, se devine surtout dans la virtuosité confiée aux lignes intérieures, comme dans la « Danse des Furies » (The Prophetess), où l’alto doit rivaliser d’agilité avec les premiers violons. Mais hormis toute considération technique ou instrumentale, les nombreux petits détails et touches fantasques trouvent leur signification dans l’intervention sans cesse répétée du surnaturel dans les livrets de ces œuvres. Dieux, demi-dieux, fées, esprits malins de toutes sortes semblent sans cesse se mêler aux affaires des hommes. Ce thème omniprésent trouve son expression la plus tragique, bien sûr, dans Didon et Enée, mais dans The Fairy Queen, il se révèle sous un aspect primesautier, voire magique. Ainsi, les pièces en écho de The Fairy Queen proposent une interprétation féérique d’un lieu commun de la musique baroque, tandis que les représentations de ludions, d’ « hommes verts » et de fées appellent le plus souvent des gestes francs et incisifs. Le pendant du surnaturel dans le lexique de l’époque, c’est l’exotisme, auquel The Fairy Queen fait également une place importante. Par contre, on peut penser que l’évocation de cet exotisme reposait surtout sur les costumes et les jeux de scène, car à vrai dire il n’y a pas grand-chose de simiesque dans la « Danse des singes » (The Fairy Queen), et le Londonien moyen ignorait tout, l’on s’en doute, de la chorégraphie des ballets chinois ! Le spectacle est ici pensé moins comme représentation que comme divertissement : la musique n’a pas à se préoccuper de narration ni d’analyse psychologique. De ce coté-là, les semi-opéras semblent se détacher clairement, du courant principal de l’opéra, alors que Didon et Enée apparaît, en revanche, comme un précurseur dans l’histoire du genre. Peu après la mort de Purcell, le semi-opéra déclina, vite supplanté par l’opéra italien, qui gagna malgré tout l’Angleterre (quoiqu’avec un certain retard, on l’aura vu, par rapport au continent). L’arrivée de Rinaldo et de son compositeur, Haendel, paracheva le succès du nouveau venu. Comment un Purcell âgé de cinquante ans aurait-il réagi face au jeune Allemand, tout frais émoulu de son séjour italien ? Quels nouveaux sommets eût-il atteint, stimulé par un tel défi artistique (et commercial) ? Comme la mort de Mozart si proche de l’éclosion du jeune Beethoven, la mort prématurée de Purcell ne peut manquer de susciter en nous une véritable nostalgie de ce qui aurait pu être… FABRICE FITCH |
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ENGLISH VERSION The English were latecomers to the opera. Following the Restoration of the monarchy in 1660, one might have expected the theatrical establishment to embrace the new genre enthusiastically: after all, things foreign were once again in fashion. Charles II himself established a troupe of string players in frank imitation of Louis XIV’s Vingt-Quatre Violons du Roi, while in France itself, Italian opera, having been successfully transplanted, soon thrived in its new soil. But for some reason, the first attempts at popularizing opera in England (whether in Italian or in the vernacular) were failures. Instead, the practice of introducing incidental music within plays and masques assumed increasing importance. Such music could either set the action (in the manner of an Overture), comment upon it (in the case of vocal numbers), or else accompany danced items; but in any case its relationship to the plot was often peripheral. Midway between this simpler kind of incidental music and the full-blown opera stands the semi-opera, an indigenous genre borne largely out of fashionable aversion to opera itself: after all, the expense of a fully-staged production of The Fairy Queen would have been at least comparable to operatic extravaganzas on the continent. But all technicalities aside, the varied orchestration, the inexhaustible flights of fancy, the deft touches, may be Purcell’s response to the constant intrusion into his librettos of the supernatural. Throughout the semi-operas (and in Dido, of course), gods, faeries, spirits fair or foul intervene in human affairs. This theme finds its most tragic expression in Dido, but its magical and comic aspects are even more full explored in The Fairy Queen. Thus, the echo sequences from The Fairy Queen put a magical construction on one of the baroque’s musical commonplaces, while the appearance of Fairies, Furies and Green Men call forth striking, buoyant gestures. The flip-side of magic is exoticism, of which The Fairy Queen provides several examples. Yet it is through costumes and choreography that exoticism must have struck Purcell’s contemporaries, for there is nothing particularly simian about the Monkeys Dance, and the music of Chinese ballet can hardly have been familiar to the Restoration Londoner. The concept of the stage work as divertissement, dramatic though not necessarily representational, is paramount; the burdens of narrative, of psychological characterization, of verisimilitude are not the music’s concern. In that sense, the semi-operas differ from opera proper, with Dido and Aeneas serving as a harbinger of things to come. Henry Purcell contributed incidental music to about fifty stage works, often in collaboration with other composers. Dido and Aeneas qualifies as an opera (at least in the sense of being through-composed), proving that Purcell had no objection to the principle; otherwise, the most substantial music is to be found in the five semi-operas written between 1690 and 1695, the year of the composer’s death. Only one of these, King Arthur, with a text by John Dryden, was an original drama designed with Purcell’s music in mind. The rest were adaptations of previous plays. The semi-operas are distinguished from Purcell’s smaller-scale incidental pieces by the enhanced role of the music within the plot (especially The Fairy Queen), and by a greater emphasis on dance-music. This recording presents instrumental music from the first of these. The Prophetess (1690), also known under the title Dioclesian, and perhaps the most impressive semi-opera of them all, The Fairy Queen (1692), based on Shakespeare’s A Midsummer-Night’s Dream. In both cases, each (spoken) Act is preceded by more or less extended instrumental introductions (some of which are simply called “act tunes”), and the work as a whole begins with a grand, suite-like sequence of pieces, complete with its Overture in the French manner. The opening music for The Fairy Queen is particularly extended. In between come the vocal items and shorter instrumental movements, intended both to introduce scenes and characters, and to provide an occasion for dance – this last a reflection, perhaps, of the taste for entr’actes in so much French incidental music of the time. Indeed, notwithstanding Purcell’s oft-quoted remark encouraging his countrymen to follow the Italian manner rather than “the levity and balladry of our neighbours”, the music on this disc would be inconceivable (even at this late stage) without the example of Lully. The semi-operas also differ from more straightforward incidental stage pieces in their lavish orchestration. Whereas the music for incidental plays confines itself to strings alone, that of the semi-operas can only be compared to the composer’s Odes and Welcome Songs – even though, unlike many of the Odes (or Lully’s operas, for that matter), the semi-operas were not courtly entertainments per se. Trumpets, oboes, recorders, kettle-drums… Purcell’s flair for the dramatic, his sense of occasion and his textural imagination, are all fired up by the greater scope offered by these increased resources. The beginning of Act Four of the The Fairy Queen, with its striking kettle-drum solo, is one memorably brilliant touch; another, more subtle one is the use of a tenor oboe in The Prophetess, a distinctive sound that occurs nowhere else in Purcell’s stage music. The composer’s consummate craftsmanship is especially evident in the virtuosity demanded of the inner voices: listen to the rocket-like scales of the Dance of Furies (The Prophetess), shared by all parts in breathtaking exchange. Almost immediately after Purcell’s death, the semi-opera began its inexorable decline, supplanted by the public taste for Italian opera that had been so long in coming. With the arrival of Handel’s Rinaldo of 1711, the transition was complete. How would a fifty-year-old Purcell have reacted to the arrival of the young German and his fully-fledged Italian wares? To what heights might he not have been stimulated by such intense artistic (and commercial) rivalry? Like the death of Mozart before Beethoven’s breakthrough, Purcell’s early death leaves us with a poignant taste of what might have been.FABRICE FITCH
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